Probablement utilisé depuis la préhistoire, le maquillage a filé en cultures comme on tisse le temps invitant tour à tour à se protéger du soleil, se distinguer socialement ou honorer les dieux. Composante du paraitre, expression d’une tendance ou caractéristique communautaire, se farder se projette aussi en un devenir « autre » venu panser, fantasmer ou sublimer un profond. C’est à ce voyage qu’invite Éric Catan, make-up artist&hairstylist Dyonésien qui aime à transformer et …se transformer pour transcender un soi.
Teck-Tech : Artiste maquilleur et coiffeur styliste, une vocation ?
Éric Catan : D’aussi loin que je me souvienne, c’est d’observer mon père tailler des costumes avec élégance et soin, d’épier ma mère se maquillant en chic et subtil, qui me fascinaient petit. J’aimais la coiffer, suivre ce geste exquis d’une laque délicatement vaporisée sur sa chevelure, intemporelle fragrance d’Elnett… Dernier d’une fratrie de 5, j’étais plutôt contemplatif et sensible, passionné très jeune par la mode dont je me plaisais à créer l’esquisse de collections.
TT : Quel a été votre parcours scolaire ?
EC : Rien de surprenant à ce que je fasse le choix d’un cursus artistique. Après une première expérience en Bac Pro « Peintre en Lettres », mes professeurs, -médusés par mes croquis-, m’ont vite orienté en section Vêtements Mesures et Création. Le cursus s’est prolongé à Paris avec cette belle opportunité de poursuivre au sein d’ESMOD, école fashion Design à la renommée internationale.
TT : Quelles ont été vos premières expériences dans l’univers de la mode ?
EC : Comme beaucoup d’étudiants, j’ai connu les petits boulots « alimentaires » jusqu’à pouvoir intégrer l’atelier style de DIOR alors dirigé par Gianfranco Ferré. Plus que de vivre les coulisses « prestiges » de la haute couture depuis le dessin d’un modèle jusqu’à l’assemblage des pièces c’est tout le méticuleux des finitions et l’audace des exigences que je retiens. L’impulsion artistique du couturier est exceptionnelle dans l’exagération des volumes, la force des structures, les silhouettes se réinventent de courbes, les encolures se parent de fleurs. Une ode à la féminité. Le revers c’est ce sentiment d’être dépossédé d’un investissement et non des moindres. Passer des heures à parfaire le détail d’une création pour y voir apposer l’étiquette de la maison peut rapidement suggérer une certaine ingratitude.
TT : Comment se sont inscrits le maquillage et la coiffure dans votre parcours?
EC : Le quotidien ne se limitait pas à l’activité professionnelle, j’ai très vite basculé dans l’univers particulier des nuits parisiennes découvrant toute son extravagance et ses ambiances. Mon colocataire était coiffeur, progressivement et sous son égide je me suis testé à la métamorphose. La coiffure crantée, le maquillage subtil, un mélange de styles inspirés des années 30 ou seventies, le temps d’une escapade nocturne, je devenais Ericka, ange bleu mué en une Marlène Dietrich comme pour mieux réfugier mon authentique. Ce n’était pas être un « autre » mais devenir « moi ».
TT : Peut-on parler de transformisme ?
EC : Effectivement, c’en était les prémices, une approche confortée un peu plus tard par ma participation à des shows de transformistes avant de goûter le fantasque du mouvement Drag Queen.
TT : Comment se traduit la différence entre le transformiste et la drag Queen ?
EC : La drag Queen est beaucoup plus excentrique que le transformiste. Elle est dans la provocation, je faisais la gogo drag avec des chaussures de 30 cm et des tenues flashy pour attirer l’attention, fasciner et revendiquer une certaine différence. De spectacles en scènes j’ai parcouru l’hexagone et plus, gagné des concours. De la Côte d’Azur à l’île d’Ibiza je créais de l’attractivité, je côtoyais les sommités de la nuit, participais aux soirées des Guetta …j’étais enfin devenu « moi » avant d’être « autre ».
TT : Quelle aura été votre plus belle rencontre ?
EC : Jean-Paul Gauthier et Karl Lagerfeld ont été mes belles rencontres, Thierry Mugler un exceptionnel. Je me rappelle son « You are the Best » qu’il me jetait presque pudiquement au point de semer en moi le possible d’être égérie. Ce couturier s’est inspiré du mouvement Drag Queen, il a transformé les femmes en créatures fantasmagoriques, twisté ses défilés en superproductions pour transcender l’esprit show. Je n’ai jamais osé tant il m’impressionnait, c’est mon plus grand regret.
TT : Pourquoi un retour sur votre île natale fin 90 ?
EC : Un incendie, une remise en question, le besoin vital de me ressourcer…je devais entreprendre ce passage de lumière, quitter des artificiels pour renouer avec un authentique et me reconnecter à moi : une parenthèse devenue nouvelle vie. Je rencontre l’Amour, découvre les spectacles de transformistes locaux et réalise tout le potentiel à développer. Je crée un cabaret itinérant dans l’Océan Indien, professionnalise le concept, j’ouvre une boutique de prêt à porter, anime un atelier de création de costumes, j’embauche de jeunes désœuvrés. De notoriété en réseaux je maquille. J’accompagne les Miss, j’interviens sur les tournages ciné pour coiffer, farder et habiller avec style.
TT : Avez-vous une anecdote à partager ?
EC : J’ai retrouvé sur le plateau du film « Rosenn », l’acteur Rupert Everett que j’avais croisé bien auparavant dans une soirée tropézienne. A l’époque je lui avais alors « emprunté » un gilet que j’ai souhaité lui restituer au moment du tournage…il a insisté pour me l’offrir…
TT : Comment se devine Éric aujourd’hui ?
EC : Je rêve de Paris, de ses ambiances « mode » et de ses libertés. Mon regard sur le transformisme ou le mouvement Drag Queen a changé. Il n’y avait pas auparavant cette notion de « combat » devenue trop palpable aujourd’hui voire même empreint d’une certaine violence. Nul besoin selon moi de s’exhiber pour défendre une singularité plurielle, mieux encore, de se faire respecter. Plus qu’un idéal de vie ou l’expression vitale d’un profond, c’est aussi la composante artistique que j’aime accompagner. Ericka pourrait ainsi se projeter en maman d’une Kiki Ball* le temps simplement d’éduquer à la différence dans un cadre créatif.
TT : Elégances de styles et d’intelligences pourraient définir un Éric fardé en Ericka, belle égérie d’une cause à défaut de n’avoir osé l’autrement.. touchy « Happy Prince** » …
* : Evénement LGBTQI où les concurrents affrontent leurs Houses (maisons) rivales pour la gloire, il permet de se retrouver autour d’une thématique et de s’amuser à travers la danse et l’expression scénique. C’est également l’occasion de transmettre un message (identitaire, social, de prévention…)
** : Film dramatique écrit et réalisé par Rupert Everett, rapportant les dernières années de vie d’Oscar Wilde
Texte : Nadine Gracy
Photos : Pierre Marchal