La silhouette se profile, regard bleu perçant interrogeant un subtil mélange de méfiance et de curiosité. Allure féline dans la ville, tantôt traqué, tantôt chasseur à mots feutrés ou plus corrosifs voici venir un personnage, de ceux qui ne laissent indifférents et semblent insaisissables. Plus que la genèse d’une légende, c’est le secret lourd d’un purgatoire que vient livrer le Pardon d’un Ange.
Créateur de la marque réunionnaise Pardon, Peter Mertes, Allemand d’origine, à l’âme baroudeuse, autodidacte et rebelle n’a de foi qu’à l’égard de ce côté provocateur qu’il se plait à bousculer pour « réveiller le monde » et prêcher l’esprit critique.
« Réveiller le monde »
En son temps plus grand journal satirique européen, le magazine Pardon aura sans nul doute éveillé le caractère prosélyte de ce défenseur des vérités qui dérangent. Ce média créé en 1962 bougera 20 années durant les lignes trop bien pensantes d’une politique en faux semblants d’autorités abusives ou mal placées, par une information traitée en caricatures et pamphlets. Son logo, un dessin de F. K. Waechter, restituant un diable au chapeau melon se muera en stigmate revendicateur et vitriolé de la parole Mertésienne.
« Plaisir, Désir et Loisir »
Audace et intrépidité traceront la route de ce pionnier prêt à tout pour affirmer son for intérieur. A l’insouciance légère d’une évasion sous les soleils basques puis tropicaux s’oppose la maturité d’une conscience à mesurer l’âpreté d’une vie. Jeune réunionnais, il s’improvise à la sérigraphie, se confectionne une chemise à l’effigie de ce petit diable. De cette anecdote naitra la fabuleuse épopée de la marque aux designs créatifs et originaux.
« J’aime surprendre, amener à réfléchir »
Plus que de servir le plaisir des sens, le désir d’une convoitise ou le loisir d’être soi, la promesse Pardon se pose en émissaire de vérités transgressées et justicière engagée pour de nobles causes : agiter la dérision pour exposer, inviter au raisonnement comme à l’appréciation des « fées et maux ». Dès 1984, Peter Mertes surprend avec ses T-shirt Tin Wear commercialisés en boites de conserve à consommer avec modération ou en pochettes vinyles. En 1989, il se saisit des évènements de la place Tian’anmen pour défendre la démocratie et soutenir financièrement les étudiants chinois avec le T-shirt « Cocktail Molotov ». Plus tard, il dénoncera les essais nucléaires de Mururoa récoltant cela dit les éloges de Jacques Chirac. Avant l’heure, il tente la manipulation des élections américaines, invente le boxer femme à message en espéranto, lance le top « Nique pas ta terre », invente la chemise réversible « Sarko/Holland », prône la beauté du métissage, sponsorise une école primaire de Madagascar ou la reforestation du Niger, soutient les Arts, édite un guide politiquement pas correct « Réunion mon Amour », imagine des collections capsules, Pardon-Home… Paradoxalement la provocation appelle le succès générant de sérieuses inimitiés voire des actes funestes ou répréhensibles comme cet incendie criminel en 1990. A plusieurs reprises sa personne sera menacée, invariablement l’indocile fera preuve de résilience : « plus on m’emmerde, mieux je me sens ».
« Le cœur du village »
D’une pureté contemplative, spontané ou critique facétieux, ce singulier pluriel aime l’idée de rassembler sur la place du village que peut être le carré Cathédrale. Fasciné par l’aura d’Einstein, d’Obama ou de Mandela, l’invétéré solitaire se rêve de sens commun et de transparence dans une juste démocratie*. Un ange passe …
* :Le mot démocratie a été emprunté directement au grec demokratia formé de deux éléments : dêmos et kratos. Dêmos désigne un territoire habité par une communauté, et, par extension, le peuple vivant sur ce territoire. Kratos vient du verbe grec kratein, dont le premier sens est « être fort, être puissant.
Texte : Nadine Gracy
Photo : Pierre Marchal