7h56, le véhicule franchit le seuil de ce portail ouvert sur un parking spacieux, le temps est à la douce brise du matin légèrement narguée par la chaleur d’un soleil naissant. Le véhicule abandonné à quelques ombrages appréciés, peu de pas suffiront à gagner le perron de ce pavillon à l’enseigne de Corail Hélicoptères. Étrange et belle sensation d’un accueil en mode VIP. Nadège, la Directrice Marketing de la compagnie invite souriante et rassurante aux premières obligations de vols. Contrôle d’identité et pesée constitueront le prérequis nécessaire à sa projection. La seconde information en particulier revêt toute son importance dans la simulation d’une répartition des charges de l’appareil.
Alors que l’hôte des lieux révérencieusement guide le futur passager vers l’espace de débriefing, le ronronnement sourd et mélodieux d’un hélicoptère vient indiciblement distraire la concentration de l’impatient intrigué. L’appareil apparait alors à quelques mètres, de retour d’une partition partagée avec le céleste réunionnais, se pose alors en élégance et majestuosité sur le tarmac de l’hélistation. Son pilote apparait, smart et sélect dans un uniforme qui inspire déjà l’expérience du métier, confiance et respect. Cette seule vision suffit à projeter concrètement un vol jusque-là resté tapi dans l’imaginaire. L’attention est rapidement distraite par les premières notes d’un film animé autour des consignes de sécurité. Le café est offert, sur un écran de télévision un petit personnage séquence toutes les étapes de l’embarquement décrivant en mode illustré chaque précaution à tenir depuis l’attache de la ceinture de sûreté au port du casque en passant par les instructions d’approche de l’appareil.
Embarquement immédiat
L’illusion brusquement prend forme, Anthony, le chef de bord se présente, décrit notre voyage Excellence, promesse d’un survol de tous les sites emblématiques de l’île sous une météo des plus clémentes. Un geste courtois et quelques mots rassurants suffisent pour monter à bord de l’aéronef. A la précipitation se mêle une certaine exaltation. Chacun prend possession de son siège réparti dans l’habitacle pour une optimisation de l’équilibre des charges. Les ceintures ajustées et le casque posé sur les oreilles, le rotor de l’appareil lentement se met à bourdonner, alors que le chef pilote s’assure du confort de chacun, la machine vrombit, se hisse au-dessus du sol dans un mouvement géostationnaire, puis se cabre et accélère effectuant au-dessus d’un cercle jaune une rotation qui la propulse déjà quelques mètres plus haut. Le nez de l’hélicoptère un moment reste penché vers l’avant laissant entrevoir le damier végétal qui progressivement se dessine. L’Ermitage et son lagon bleu apparaissent alors dans un contraste de couleurs que seule une vision vue du ciel peut offrir. La magie a débuté sa danse des paillettes.
Féérie céleste
Tout en discrétion et mesure des mots, le pilote commente cette incroyable flânerie des airs au-dessus des champs de canne. Sans faire défaut aux attentions requises il décrit Saint Leu, le trou du Souffleur, Saint Paul, Le port avant de rallier la crête du Maïdo. L’instant est venu de quitter le littoral pour pénétrer l’abscons de cette île aux multiples ambiances. A l’exotisme de la dentelle côtière vient se substituer l’histoire sordide des marrons, premiers habitants des Hauts venus se réfugier dans ces parties escarpées pour échapper à la sinistre prédation de propriétaires terriens. Ces mêmes colons qui n’hésitèrent pas à incendier la végétation environnante pour capturer les esclaves en fuite. Passée la zone du Brûlé, l’attention se porte alors sur le spectacle envoûtant des premiers sommets réunionnais dont le fascinant Piton des Neiges haut de 3070 mètres. La roche écrite plus loin, Morne de Fourche ou le Grand Bénare complètent l’impressionnant tableau. L’hélicoptère oscille au gré des vents tournants, le pilote régulièrement communique sur sa position : « Fox Trot – Oscar – Fox Trot – Alpha – Papa – arrive sur Mafate par l’ouest ». Mafate apparait laissant deviner au loin la Rivière des Galets, le piton Calumets ou le Cimandef. L’heure est au souvenir d’Ivrin Pausé. Cette véritable célébrité locale disparu en 2019 fût autrefois l’unique facteur des environs. Pendant 40 ans, cet homme, seul lien social avec la ville a parcouru près de 253 000 km soit l’équivalent de 6 fois le tour de la terre.
Spectacle de cirques
Comme un insecte butineur la machine poursuit vers le col des Bœufs transition concrète entre le cirque de Mafate et celui de Salazie. Comme pour mieux sublimer le paysage survolé, les rais incandescents du soleil périodiquement viennent taper le cockpit éblouissant le regard de chaque passager. Où qu’il soit dans l’habitable le voyageur dispose d’une vue panoramique propice à cette belle vision à 360° que d’aucun ne pourrait imaginer depuis le sol. Le charme continue d’opérer. Le piton Anchaing trône au cœur de la forêt domaniale de Salazie. La face nord du piton des neiges apparait subrepticement sur la droite alors qu’émerge dans son écrin de végétation luxuriante Hell Bourg, seule bourgade d’outre-mer élue « plus beau village de France ». Cette ancienne station thermale un temps lieu de villégiature des bourgeois de l’île concentre près de 150 cases créoles d’un style architectural raffiné. Équilibre harmonieux entre démesure végétale, eaux jaillissantes et reliefs grandioses ce paradis terrestre vu du ciel enchante par ses incontournables : le voile de la mariée, saisissante cascade jetée majestueusement, ou le « Trou de Fer », gouffre de 300 mètres de profondeur d’où dévalent de vertigineuses chutes d’eau au sortir de la forêt de Bélouve… l’entrée de l’appareil au creux de cette cavité creusée par le temps pourrait suggérer les plus belles images du film Jurassic Park tant la luxuriance de la végétation collée à ces parois rapprochées nourrit l’ivresse de cette improbable croisière. L’habileté du pilote suffit à rassurer, plus que d’entretenir le mélodieux de cette symphonie des airs, c’est une partition nourrie de sensations grandissantes que procure ce vol au-dessus d’un exceptionnel.
Mirage de la nature
Alors qu’apparait la côte Est de l’île, Saint André, Saint Benoît, la rivière des Roches, celle des Marsouins ou la vallée de Takamaka lovée dans la verdure, quelques nuages frôlés laissent émerger l’unique lac d’origine volcanique : le Grand-Etang alimenté par de nombreuses cascades comme celle du bras d’Annette qui, vu du ciel vient inspirer toute l’histoire d’irruptions passées. L’aéronef poursuit sa course au-dessus de quelques Cryptomérias, résineux importés du Japon à la fin du XIXe siècle pour habiller entre plaine des palmistes et plaine des Cafres les paysages des hauts réunionnais. Surgit alors entre mer de nuages et terre de feu le paysage lunaire de la plaine des Sables. Irréelle beauté perchée à 2260 mètres cette étendue calée par les remparts du Pas de Bellecombe offre ses reflets rougeâtres et mordorés arborant toutes les curiosités d’un décor martien fait de cônes et d’insolites minéraux. L’approche serrée des cratères donne l’étrange sensation d’une chute vertigineuse. Sur le sol quelques tâches noires soigneusement dessinées par la nature prennent allure de diables noirs qui rapidement contrastent avec le blanc immaculé de la ville de Saint Pierre aperçu en bordure de l’océan indien.
Trésor du patrimoine mondial de l’Unesco
L’appareil en élégance prolonge sa fugue fantastique au-dessus du luxuriant de ces sommets régulièrement tachetés du rouge carmin de ces toits d’habitations semées ici et là. Le col du Taïbit et sa crête à la forme d’une tête de chien Pluto invite à la transition vers le cirque de Cilaos insolite merveille du territoire devenue si accessible du ciel alors que sa route sinueuse et tortueuse peut en décourager plus d’un. L’escapade touche à sa fin, l’hélicoptère se perd d’altitude générant décompression et sensations auditives particulières. Toujours enclin à partager cette aubade à la féérie musicale, le chef de bord amène la machine à caresser les nuages laissant imaginer qu’on puisse s’y poser ou en rebondir pour toucher un peu plus bas le turquoise d’un lagon qui plonge dans le bleu sombre d’un océan profond. Quelques embarcations au sillage blanc esquissent au large le tracé léger de leurs déambulations. Trou d’eau, La Saline, l’Ermitage, la Ravine de Saint Gilles s’enchainent à l’approche du tarmac de la compagnie. Le sol se rapproche, le rythme se ralentit, au premier cercle jaune visé en géostation, se succède un second repère atteint en longeant un guide fil tracé sur le bitume jusqu’à l’atteinte de l’ultime cible sur laquelle en douceur et délicatesse gracieuse se pose enfin l’aéronef aux couleurs de la compagnie.
Comme s’en est venu le passager d’une croisière céleste, repart le voyageur de cette symphonie Corail, le cœur évadé, quelques paillettes dans les yeux, encore sous le charme d’une partition musicale composée pour magnifier une île devenue fantasme.
Texte Nadine Gracy